Arche de Zoé : les avocats ont joué leur va-tout http://www.liberation.fr/actualite/societe/303899.FR.phpLes ventilateurs africains ont cédé la place au design des années 70, et les militaires en treillis et Ray-Ban ont été remplacés par d’austères CRS. Mais c’est bien le procès de l’Arche de Zoé au Tchad qui s’est rouvert hier au tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne). Au départ, il s’agissait d’une simple audience d’adaptation de la peine, prononcée le 26 décembre par la cour criminelle de N’djamena : six bénévoles de l’ONG humanitaire y ont été condamnés à huit ans de travaux forcés pour avoir voulu emmener dans l’Hexagone 103 enfants africains. En rappelant que «les travaux forcés n’existent plus en France», ce qui justifiait la tenue de cette audience exceptionnelle, le procureur Jean-Jacques Bosc a mis en garde les trois juges : «Il ne s’agit pas ici de tenir un nouveau procès. Il ne vous appartient donc pas de requalifier les faits.»
Illégitime. Mais pour la défense, c’était peut-être la dernière occasion de contester une condamnation collective jugée illégitime. Pendant quatre heures, sept avocats se sont succédé à la barre, dénonçant avec une véhémence passionnelle les ratés de l’instruction tchadienne. «Nous brûlons d’envie de les défendre», a concédé Me Olivier Desandre-Navarre qui n’a pas caché «une émotion réelle». Celle-ci était palpable dans une salle d’audience remplie par les proches des prévenus, mais aussi des familles ayant soutenu le projet de l’Arche de Zoé. L’apparition d’Eric Breteau, son président, a d’ailleurs constitué le premier choc de cette séance : très affaibli, Breteau est arrivé en chaise roulante et s’est avancé, soutenu par deux policiers, jusqu’à sa place. Dans la salle, des mains se sont aussitôt tendues vers lui. Au premier rang, son ex-femme, Agnès, éclate en sanglots. Plus tard, il y eut aussi les larmes d’Alain Peligat évoquant ses deux petites filles adoptées au Cambodge, puis les sanglots d’Emilie Lelouch, la compagne et assistante de Breteau, qui «ne regrette rien».
Pour la première fois depuis leur retour du Tchad, les six humanitaires ont pu s’exprimer, clamant une fois de plus leur innocence et évoquant leurs vies bouleversées depuis leur arrestation le 25 octobre. Dans cette ambiance peu sereine, il y avait aussi une absente parmi les inculpés : la jeune infirmière Nadia Merini, déjà très faible à N’djamena, désormais «hospitalisée à Villejuif [Val-de-Marne, ndlr]», selon son avocat, Me Mario Stasi, qui a clos les interventions de la défense. Comme dans la capitale tchadienne, il s’est efforcé de dresser un portrait émouvant de sa cliente «qui n’a été condamnée sur aucun fait précis».
Hasard. Mais, contre toute attente, la défense n’a guère joué la division entre les inculpés, si ce n’est pour souligner l’absence «d’individualisation des peines» dans une affaire où le hasard a parfois été fatal. Comme pour Alain Peligat, qui aurait dû partir une semaine plus tôt si son remplaçant ne s’était pas désisté, ont rappelé les deux nouveaux avocats du logisticien, récemment brouillé avec Me Céline Laurenzon, qui le défendait au Tchad.
Sont-ils, alors, des humanitaires pris au piège dans un procès biaisé ? Alors que le procureur rejetait d’avance toute référence à la Convention européenne des droits de l’homme, au nom de l’accord franco-tchadien de 1976, les avocats ont dénoncé cet accord appliqué pour la première fois et qui lie la France à un Etat jugé non démocratique. «Qu’est ce que vous en avez à foutre ?» s’est exclamé Me Gilbert Collard, en s’adressant aux juges, pour évoquer les conséquences d’une remise en cause du jugement sur les relations entre Paris et N’djamena. «Vous ne devez pas associer votre nom à une décision qui permet à Idriss Déby [le président tchadien] de faire croire que la justice fonctionne dans son pays.»
Martyrs. A N’djamena comme à Créteil, l’affaire de l’Arche de Zoé se retrouve ainsi noyée sous le poids des symboles. Tentation d’un procès des Blancs là-bas, et d’une opposition justice contre démocratie ici. Pour les trois magistrats français, la tâche s’annonce difficile : soit ils adaptent mécaniquement la peine tchadienne au risque d’envoyer derrière les barreaux des humanitaires transformés en martyrs de la raison d’Etat, soit ils remettent en cause le verdict tchadien au risque, cette fois, de s’immiscer dans la justice d’un pays tiers. Décision le 28 janvier.